TDAH et alimentation : quand le cerveau a faim d’équilibre
Introduction :
Le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) est souvent abordé sous l’angle de la médication, de la psychologie ou de la pédagogie. Pourtant, un aspect fondamental reste souvent négligé : l’alimentation. Ce que nous mangeons influence directement la chimie de notre cerveau – et donc notre attention, notre régulation émotionnelle, notre impulsivité.
Cet article propose une exploration des liens entre alimentation, neurotransmetteurs et fonctionnement cérébral chez les personnes avec TDAH. Il ne constitue pas une recommandation nutritionnelle, mais une synthèse pédagogique éclairée à partir des connaissances actuelles en neurosciences.

Le cerveau TDAH, un équilibre neurochimique fragile
Le TDAH est avant tout un trouble neurobiologique.
Il se caractérise par un dysfonctionnement des circuits de la dopamine et de la noradrénaline, deux neurotransmetteurs essentiels à la concentration, à la motivation et à l’inhibition des comportements impulsifs. Mais ce déséquilibre neurochimique dépasse souvent ces deux molécules.
De plus en plus de recherches mettent en lumière le rôle de la sérotonine, impliquée dans la régulation de l’humeur, de l’impulsivité, du sommeil et de l’appétit【1】. Un déficit en sérotonine pourrait contribuer à la comorbidité fréquente entre TDAH, anxiété et troubles de l’humeur.
Un autre acteur majeur, moins souvent mentionné, est le GABA (acide gamma-aminobutyrique), principal neurotransmetteur inhibiteur du cerveau. Il agit comme un “frein” neuronal, tempérant l’excitation excessive. Des études montrent que le GABA est souvent sous-actif chez les personnes avec TDAH, en particulier celles présentant de l’impulsivité ou de l’anxiété【2】.
Tous ces neurotransmetteurs sont synthétisés à partir d’acides aminés, issus des protéines alimentaires.
Par exemple :
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Tryptophane → Sérotonine
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Tyrosine → Dopamine
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Glutamate → GABA
Un apport insuffisant en protéines, ou une mauvaise assimilation des nutriments nécessaires à ces conversions, peut donc entraver le bon fonctionnement cérébral.

Le GABA, le grand oublié… mais essentiel
Le GABA joue un rôle fondamental dans la modulation de l'excitation neuronale. Contrairement à la dopamine ou la noradrénaline, qui activent les circuits cérébraux, le GABA agit comme un régulateur, un stabilisateur.
Il aide à prévenir la surcharge sensorielle, à réduire l’agitation interne, et favorise l’endormissement.
Une étude de Edden et al. (2012) a montré que des enfants avec TDAH présentent des niveaux de GABA significativement plus faibles dans certaines régions du cortex préfrontal【3】. Cela pourrait expliquer une partie de leur hyperréactivité émotionnelle et de leur difficulté à se calmer.
Pour que le cerveau puisse produire du GABA, plusieurs éléments sont nécessaires :
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Le glutamate, un acide aminé issu des protéines (donc il faut en manger assez)
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La vitamine B6, qui agit comme cofacteur enzymatique
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Le magnésium, le zinc, et d’autres micronutriments
Des aliments comme les légumes verts, les œufs, les graines, les légumineuses et les bananes peuvent soutenir cette production naturelle.

La sérotonine : bien plus qu’une hormone du bonheur
La sérotonine est souvent surnommée “l’hormone du bonheur”, mais ses effets dépassent largement le simple bien-être émotionnel. Elle intervient dans la régulation de l’humeur, du sommeil, de la douleur, mais aussi de l’impulsivité et de l’anxiété, deux composantes centrales du TDAH.
Elle est produite à partir du tryptophane, un acide aminé essentiel apporté par l’alimentation. On en trouve notamment dans les œufs, la dinde, les légumineuses, le chocolat noir, les graines de courge, ou encore la banane.
Fait notable : environ 90 % de la sérotonine est produite dans l’intestin, ce qui relie directement le microbiote et le fonctionnement cérébral【4】. Une alimentation déséquilibrée peut ainsi impacter indirectement la production de sérotonine, en perturbant l’écosystème digestif.
Enfin, certaines études pointent le rôle ambivalent du sucre, qui provoque une libération rapide de sérotonine, suivie d’une chute brutale, favorisant l’irritabilité ou les fringales【5】. Une consommation régulière de glucides à index glycémique bas (légumineuses, céréales complètes) semble plus favorable à une régulation stable.

Alimentation et rythmes du TDAH

Les personnes avec TDAH présentent fréquemment un rapport particulier au rythme alimentaire. On observe, dans de nombreuses études et témoignages cliniques, une tendance à l’irrégularité : repas sautés, longues périodes sans manger (souvent liées à l’hyperfocus), suivies de prises alimentaires impulsives, souvent riches en sucres rapides. Ces fluctuations peuvent entraîner un déséquilibre glycémique, c’est-à-dire une variation brutale du taux de sucre dans le sang, qui influence directement l’énergie mentale, la stabilité de l’humeur et la capacité de concentration.
La littérature scientifique suggère que le cerveau des personnes avec TDAH est plus sensible à ces variations énergétiques. En l'absence de "carburant" stable, notamment sous forme de glucose issu de glucides complexes, le cerveau tend à fonctionner en mode de survie, avec des effets notables sur l’irritabilité, la fatigue, la baisse d’attention et l’impulsivité. Ce qui pourrait être interprété comme un trouble comportemental isolé est parfois, en réalité, le reflet d’un déséquilibre physiologique lié à un apport énergétique instable.
Un autre facteur entre en jeu :
L’oubli de la sensation de faim. Chez certaines personnes avec TDAH, la conscience corporelle est altérée ou atténuée dans les phases d’hyperstimulation cognitive, ce qui conduit à des repas pris trop tard, souvent de manière précipitée, voire compulsive. D’autres, à l’inverse, ressentent une faim constante, liée à une instabilité de la glycémie ou à un besoin de régulation émotionnelle par la nourriture, en particulier dans les cas de TDAH comorbide avec des troubles anxieux.
De plus, l'alimentation peut parfois devenir un moyen de régulation dopaminergique. Les aliments très sucrés ou très gras procurent un soulagement immédiat, car ils stimulent la libération de dopamine. Cependant, cet effet est de courte durée et s'accompagne souvent d’un "crash" émotionnel et cognitif. À long terme, cette recherche de récompense alimentaire rapide entretient un cercle vicieux, où le comportement alimentaire devient à la fois un symptôme et un facteur aggravant des difficultés attentionnelles et émotionnelles.
Adapter l’alimentation dans le TDAH ne signifie pas adopter un régime restrictif ou médicalisé. Il s’agit plutôt de restaurer des repères stables et soutenants : des apports réguliers, une attention portée à la qualité des nutriments, et une écoute des signaux corporels.
Ces ajustements, bien qu’apparemment simples, peuvent avoir un impact significatif sur la clarté mentale, l’apaisement émotionnel et l’endurance cognitive.
Conclusion :
Loin d’être un simple aspect secondaire, l’alimentation constitue un levier essentiel dans la compréhension globale du TDAH. Ce trouble, marqué par une instabilité neurochimique, une hypersensibilité émotionnelle et une fatigue attentionnelle chronique, trouve dans la nutrition un terrain d’influence souvent sous-estimé.
Le fonctionnement cérébral dépend étroitement de l’équilibre des neurotransmetteurs, dont la production est en partie conditionnée par les apports alimentaires. Comprendre le rôle de la dopamine, de la sérotonine et du GABA dans le TDAH permet de dépasser les approches symptomatiques pour adopter une lecture intégrée du trouble, une lecture dans laquelle le corps et l’esprit sont en interaction permanente.
Il ne s’agit pas ici de prétendre “soigner” le TDAH par l’alimentation, mais d’explorer un complément possible, une approche de soutien qui s’inscrit dans une démarche d’éducation à la santé mentale. Pour les personnes concernées, se nourrir peut devenir une manière de reprendre un peu de pouvoir sur leur équilibre intérieur, en s'appuyant sur des choix éclairés, sans culpabilité ni pression de performance.
Pour les professionnels, c’est l’occasion de mieux accompagner, d’ouvrir le dialogue sur ces liens complexes entre cerveau, alimentation et comportement. Et pour chacun, c’est une invitation à considérer la nutrition comme un pilier silencieux mais fondamental du bien-être cognitif et émotionnel.
Références scientifiques
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Young, S. N. (2007). How to increase serotonin in the human brain without drugs. Journal of Psychiatry & Neuroscience, 32(6), 394–399.
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Ende, G. et al. (2016). Lower GABA levels in the anterior cingulate cortex of adults with ADHD: A magnetic resonance spectroscopy study. Journal of Psychiatric Research, 76, 107–113.
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Edden, R. A. et al. (2012). Reduced GABA concentration in attention-deficit/hyperactivity disorder. Archives of General Psychiatry, 69(7), 750–753.
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O’Mahony, S. M. et al. (2015). Serotonin, tryptophan metabolism and the brain–gut–microbiome axis. Behavioural Brain Research, 277, 32–48.
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Benton, D. (2002). Carbohydrate ingestion, blood glucose and mood. Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 26(3), 293–308.
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Millichap, J. G., & Yee, M. M. (2012). The diet factor in attention-deficit/hyperactivity disorder. Pediatrics, 129(2), 330–337.
Virginie Blanc Klamm ©
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